La littérature des sans voix, celle des ouvriers du début du siècle, fut abondante dans le milieu des mines. Moyen d’expression qui trouvait sa source dans la parole et le patois, elle reflète la conscience d’une population. L’une des ses figures légendaires s’éteignait il y a cinquante ans dans sa ville natale de Denain. Poète et mineur, ou réciproquement, Jules Mousseron laisse derrière lui deux images : celle du carbonnier avec sa barette et sa lampe, au fond del fosse Renard et celle du poète patoisant, maniant sous la plume avec sincérité et sensibilité, louant le courage et l’honneur d’une profession décimée. Denain dépassait les dix mille habitants lorsque naît Jules Mousseron, le premier jour de l’an 1868 – elle approchera les trente mille lors de sa mort en 1943. Venu au monde dans un coron de mineur, il descendra pour la première fois à la fosse Renard à l’âge de douze ans, certificat d’études en poche. Si dures puissent être ses journées, il suit les cours du soir et satisfait sa boulimie de lecture au marché de Denain où il dégotte ses premiers ouvrages de référence.
Il commencera d’ailleurs à écrire en français jusqu’à ce qu’il rencontre l’écrivain André Jurénil qui lui conseille d’écrire en patois. Dès lors Jules Mousseron ne faillit plus à sa mission de « rapporteur » de la tradition ouvrière des mineurs du Pays Noir. Son premier recueil de poésie, Fleurs d’en bas, publié en 1897 grâce à une vaste souscription comprend quinze poèmes et une vingtaine de chansons. Durant trente ans, douze volumes suivront, d’un tirage total de quelques cent mille exemplaires, maintes fois réédités et près de trois cents chansons qui ont rendu célèbre ce « chantre de la mine ». Conteur, comédien ou « commis voyageur en poésie » comme l’écrit Jean Dauby, Mousseron se donnait régulièrement en spectacle. Récitant ses poèmes des soirées entières devant un public enthousiaste, parfois devant deux mille personnes réunies dans une salle des fêtes, il reçut très vite un accueil chaleureux de tous bords. Artistes, écrivains, mineurs bien sûr, lui reconnaissaient un réel talent d’écriture, son plus célèbre héros reste Zeph Cafougnette, mineur vantard et arsouille mais à l’indéfectible courage. Un demi-siècle durant, Mousseron chante les joies et les peines des mineurs. Véritable reflet d’une époque, il décrit avec sensibilité la vie de tous les jours, les habitudes de ce milieu social. Aucune des valeurs reconnues au milieu ouvrier de l’époque n’échappe au poète : courage, fraternité, amour…
Le temps allant, la renommée s’accentue et pousse Mousseron à « exporter » son oeuvre. De villes en villes, il récite ses poèmes et chansons sans toutefois en oublier son patois. Empreinte d’amour, la poésie de Mousseron est avant tout un regard positif et tolérant sur la vie du mineur. Certains lui reprocheront même son manque d’engagement politique, le patronat semble tout à fait étranger à sa misère. Mousseron aime la mine malgré – où à cause – de ses tragédies. Il ne quittera jamais ses camarades qui l’aduleront comme un « apôtre ». Parmi eux, à travers ses spectacles il a cherché à soulager la misère morale et matérielle par la poésie. L’extinction des dernières mines doivent-elles faire oublier ce passé ? Peut-on sérieusement imaginer tirer un trait, dusse l’idée plaire à certains « entreprenants », sur cette infiniment riche mémoire ? Jacques Bonnaffé revient pour nous prouver le contraire.
Christophe Durand (1993)